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Les Ailes noires... - Les Ailes noires...

1- Autour des   2- Critique de Frédéric Marsaly 
3- Critique de Wing-Masters  4- Critique du Fana de l'Aviation 
5- Le lâcher sur T6  6- Les Ailes noires du porteur de guerre 

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 Autour des Posté Le 05/02/2009 

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 Critique de Frédéric Marsaly Posté Le 12/02/2009 

"Les Ailes noires du porteur de guerre"

Le coup de coeur de Frédéric Marsaly dans InfoPilote n° 552 de Mars 2002

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 Critique de Wing-Masters Posté Le 12/02/2009 

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"Les Ailes noires du porteur de guerre"

Critique de J.G. dans WingMasters de Septembre 2002

 

"Oeuvre d'un ancien pilote, ce roman s'inspire

d'illustres littérateurs comme Malraux,

Kessel, Camus ou Saint-Exupéry

pour le côté très lyrique du récit.

Suivez Pierre Nolens et J. C.,

son "nave" (comprenez navigateur),

sous les cieux de l'Algérois

et ses considérations sur la justesse d'une guerre.


Une double narration sur le mode "carnet"

campent un personnage complexe

troublé par ses actions.

Loin du "techno thriller",

mais de l'action à couper le souffle.

Une superbe lecture pour tous."

J.G.

 

 

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 Critique du Fana de l'Aviation Posté Le 13/02/2009 

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"Les Ailes noires du porteur de guerre"

Critique du Fana de l'Aviation (n° 389 d'avril 2002)

 

C’est un roman, mais de toute évidence une histoire vraie.

L’auteur invente moins qu’il ne raconte ce qu’il a vécu sans doute.

L’histoire d’un pilote, d’un fou d’aviation dans les années 50 : formation, macaron*, Algérie, chasse de nuit et l’ennemi qui n’est pas celui qu’on croit.

Ce n’est pas non plus un récit de guerre, mais un récit dans la guerre, le portrait d’un jeune homme disparu, tel que des lettres, des notes, des témoignages le dessinent.

Une histoire un peu triste, nostalgique avec des moments de joie.

- Qu’est-ce qui vous a pris Nolens ?

- Je ne sais pas, mon Commandant, le bonheur m’est tombé sur la tête.

Le bonheur de piloter un « Vampire » sous le soleil.

Le bonheur de voler est l’une des vérités de cette aventure imaginaire dont les détails exacts ont rarement été rapportés, même parmi les historiens pointilleux.

Ils constituent avec le talent de l’auteur, les bonnes surprises de ce livre inattendu.

 

MB

* nda : brevet de pilote de chasse n° 37911, janvier 1959 à MKS.

 

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 Le lâcher sur T6 Posté Le 04/03/2009 

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Ce chapitre fait partie du roman « Les ailes noires du porteur de guerre » de François Nicol publié par Nicolas Philippe éd. en 2002 ISBN : n° 2-7488-0001-X

Chapitre 06 : 1957 à Marrakech, le lâcher sur T6

(Extraits du carnet n° 2 de Nolens.)

3/10/1957, Marrakech, base aérienne 707, école de pilotage française.

<strong>#bristol-09bc.jpg</strong>

Voilà, c'est le grand jour ! Nous y sommes, c'est l'heure de vérité. Je vais piloter le plus bel avion qui ait jamais été imaginé par les hommes, je vais voler seul sur le T6-Texan, tout seul, pour la première fois sans mon moniteur. Aujourd'hui je serai lâché.

10 heures du matin à Sidi-Zouine, terrain d'aviation annexe de celui de Marrakech.

Sidi-Zouine, c'est le paradis des élèves-pilotes débutants. Ici, en plein désert, face au majestueux Atlas distant d'au moins 50 km, il n'y a aucun obstacle si ce n'est la terre elle-même où l'on pourrait se planter verticalement tel un poireau. Il y a aussi, il est vrai, la baraque du starter (ordonnateur des vols) qui est l'équivalent d'une tour de contrôle, mais de dimensions beaucoup plus réduites.

Un moniteur y donne les ordres d'atterrissage et de décollage. En plus de sa radio V.H.F., il dispose d'un pistolet lance-fusées qu'il n'utilise qu'en cas de danger imminent, par exemple lorsqu'un élève étourdi se présente face à la « piste » pour s'y poser, mais oublie de sortir le train d'atterrissage et reste sourd aux injonctions radio. On voit de tout à Sidi-Zouine et le spectacle y est souvent intéressant.

Je mets le mot « piste » entre guillemets, parce qu'il n'y a pas réellement de piste ici, mais une plaine débarrassée de ses cailloux. Pas un arbre à l'horizon, pas le moindre acacia du désert pour se protéger du soleil, pas même un brin d'herbe. L'ombre ne se trouve qu'auprès de la baraque du starter - mais à cette heure elle est réduite - ou sous l'aile des avions de passage, mais ils ne s'attardent pas en ces lieux inhospitaliers.

Je suis allongé sous l'aile du T6 n 102 sur lequel je dois m'envoler dans un moment. C'est l'avion de mes rêves ! Comme la plupart des T6-Texans, il a la couleur jaune d'or des jonquilles au printemps avec une pointe d'orange (selon Jeannot Galion), de ces oranges dorées et pulpeuses que l'on voit à Marrakech sur les étals des marchands de la place Jemaa el Fna.

Le T6-Texan est d'une beauté inégalée, j'en rêve la nuit, je lui parle chaque jour. Cet avion, mon avion, est un véritable personnage. Avant de voler je lui dis combien j'aime sa ligne si pure, sa voilure si fine, sa couleur si chaude, combien j'apprécie sa puissance (450 chevaux au niveau de la mer) et surtout ses qualités extraordinaires.

Il pardonne tout ou presque aux élèves-pilotes qui le maltraitent. Ainsi, quelle que soit la faute de pilotage, il retrouve de lui-même une position normale pour un avion, il se remet en vol horizontal. Je crois qu'il serait capable de se poser sans pilote tel un avion de papier.

Il faudrait être mal intentionné pour provoquer sa chute et lui briser les ailes. Mon moniteur m'a dit que des milliers de pilotes ont été formés sur le T6-Texan, c'est dire s'il est solide et gentil. Néanmoins il y a parfois des fous ou des innocents qui volent et qui peuvent le casser.

J'écris le dos calé par mon parachute-siège que j'ai appuyé contre la roue gauche du train d'atterrissage. Je me suis abrité sous l'aile protectrice du bel avion qui m'emportera tout à l'heure à son bord. La luminosité est si forte que je ne peux quitter mes lunettes noires. Je suis en nage dans ma combinaison de toile.

J'ai mal dormi cette nuit, nous étouffions à l'intérieur de la chambre malgré la fenêtre grande ouverte. C'est la fin de l'été, mais la température dépasse souvent les 40 degrés. Dix fois j'ai couru sous la douche et me suis remis au lit tout trempé en espérant m'endormir avant que d'être sec. Ce n'était pourtant pas la peur de voler seul qui me tenaillait les entrailles, sans doute une légère appréhension ? Tous les élèves-pilotes de la promotion seront lâchés ces jours-ci, ils partiront seuls pour la première fois.

Pourtant je ne crains rien, je suis indestructible, peut-être même suis-je immortel. Je ne tremble pas à l'idée de partir seul sur mon « T6 jaune d'or à la pulpe d'orange ».

J'ai décidé de frapper un grand coup ; Jeannot et Gros-Louis sont dans la confidence : au lieu du petit vol tranquille dont a parlé Guillaume, mon moniteur, je vais faire de la voltige. Je ne sais pas comment réussir un looping, encore moins tourner un tonneau, mais j'ai potassé la question, je connais par cœur le manuel.

Durant les dix premières heures de vol, nous n'avons pas fait de voltige. C'est énervant ces leçons pépères à la fin ! La seule figure que nous ayons apprise et qui se rapproche de la voltige, c'est la vrille et, bien sûr la sortie de vrille. Cela consiste à faire tomber l'avion en feuille morte, puis à stopper sa rotation avant de le replacer en vol horizontal. J'en ai tourné des vrilles avec Guillaume ! D'après lui, le décrochage accidentel de l'avion (perte de vitesse), sa chute et la vrille qui s'ensuit, c'est la pire des situations que je pourrais rencontrer.

J'ai une confiance absolue en mon moniteur, je sais qu'il fait le maximum pour me protéger, mais je désire aller au-delà. Si je dois devenir un grand pilote, je n'ai pas une minute à perdre. J'ai déjà vingt-ans révolus, qu'ai-je fait qui sorte de l'ordinaire ?

Le temps me presse ; il faut secouer cette carcasse qui ne demande qu'à rêver ou à dormir. J'aimerais voir le géant Atlas non plus d'en bas comme un ver de terre, mais du haut du ciel comme un aigle gypaète. Je veux monter, me promener sur les cimes, voir les neiges éternelles, contempler d'un côté le désert qui se perd à l'infini et de l'autre la plaine qui s'étend jusqu'à la mer. Verrai-je au loin l'Océan Atlantique ? J'en doute, pourquoi pas les Amériques ? Au moins découvrirai-je le Jardin des Hespérides sur les hauts de l'Atlas : à moi les Pommes d'Or !

Je vais tout mettre sens dessus dessous. D'abord je renverserai le géant Atlas qui prétend porter le ciel, mon ciel, et j'utiliserai les couleurs de l'arc-en-ciel pour le repeindre à ma façon : je couvrirai de vert tendre ses vallées encaissées, d'ocre ses pics et de blanc ses rocs, d'indigo et de violet ses ombres.

J'obligerai le soleil à tournoyer comme une boule de feu et je contraindrai la terre à basculer sous mes ailes. Je placerai le ciel sous mes pieds et me promènerai la tête dans les sables. Puis je traverserai le bleu profond des nuits sans lune avant de retourner vers les ors et les jaunes du soleil pour apercevoir ses rayons rouges !

Et quand j'aurai fini ma voltige, je hisserai les voiles et m'en irai à tire d'aile, j'irai, c'est juré, tout au fond du désert, puis je reviendrai sur les filets du vent me baigner parmi les étoiles de mer. Ouf ! J'ai tant de choses à faire.

Je veux grandir ! Saint-Exupéry, Guillaumet, Mermoz, vous m'avez indiqué le chemin. Toutefois sans prétendre voler à votre hauteur, je voudrais tout de même imiter les invincibles pilotes de la Bataille d'Angleterre. Hélas, je suis venu trop tard au monde, vingt-ans trop tard. Comme eux j'aurais aimé piloter ces avions de légende, le Spitfire, le Hurricane, le Tempest ; comme eux j'aurais voulu me battre au-dessus de la France et de l'Angleterre. Je serais mort probablement, noyé quelque part dans la Manche ou dans la mer du Nord. Mon Dieu, je veux voler ou mourir !

Je ne redoute rien. Je dois étouffer en moi cet être pusillanime qui me conseille la prudence. Il tremble le petit Nolens, il ne veut pas devenir adulte, il préférerait demeurer dans les bras de sa maman, sa maman qu'il adore.

Justement elle m'a écrit, ma maman chérie. Voici ce qu'elle me dit à la fin de sa lettre : « N'aie pas peur, mon enfant, je suis à tes côtés tous les jours que Dieu nous donne, je suis avec toi dans l'avion et je te protège. Sois fort, mon fils. Je pense à toi nuit et jour. Je vis avec toi, je te parle, je t'encourage, je te dis des mots d'amour. Travaille bien mon garçon, applique-toi, aie confiance en toi, mais ne fais pas le fou. Je crois en toi. Je sais que tu vas réussir. Je t'embrasse et te donne tout mon amour. Je t'aime, mon fils. Ta maman.

P.S. : ton frère Charles m'inquiète un peu : il parle de s'engager dans les Commandos de Marine. Je ne sais pas si c'est sérieux. Aide-moi à l'en dissuader. »

Elle est ainsi, ma mère ! Sa fragilité n'est qu'apparence ; c'est une amazone, une guerrière, une Walkyrie. Je l'admire et je l'aime.

Il est 11 heures. Voici la navette qui vient de Marrakech. C'est un trimoteur JU-52 construit par les Allemands avant le déluge (c'est-à-dire avant la guerre). Je n'ai plus le temps de rêver.

17 heures, ce même jour.

C'est fait, j'ai volé seul, seul à bord du T6 102, j'ai été lâché !

Il me faut écrire cela pour ne jamais l'oublier. Guillaume, mon moniteur est descendu de la navette à Sidi-Zouine. Il portait son parachute sur l'épaule. Je l'ai vu marcher d'un bon pas jusqu'à la baraque du starter, discuter avec son collègue, puis venir vers moi. Il était souriant, toujours aussi agréable et détendu.

- C'est à vous Nolens ! Les vols en solo sont autorisés. Prenez le 102. Ne vous occupez pas de moi, faites comme si je n'étais pas là, j'ai l'obligation de vous accompagner durant la mise en route. Un mot cependant : il y a du vent par le travers, donc au décollage, soyez sur vos gardes. Quand vous reviendrez, à l'atterrissage, pas de vol en crabe. Venez droit, bien droit, inclinez le T6 du côté de l'aile au vent et posez-le sur une roue, vous verrez, c'est facile. Allez-y franchement !

Dès ce moment je fus dans un état de concentration extrême. Mon champ visuel diminua ; je me repliai sur moi-même et j'eus l'impression que mon regard se retournait vers l'intérieur pour mieux me contrôler. Tout était clair dans ma tête. Je n'éprouvais aucune crainte. Le but que je m'étais fixé depuis longtemps était à ma portée, je le voyais, je le touchais.

Avec des gestes lents, j'enfilai mes gants, d'abord la fine pellicule de soie conçue pour absorber la sueur, puis les épais gants de cuir faits pour nous protéger des chocs et des brûlures. Suivi de mon moniteur, j'effectuai les premières actions vitales qui consistent à faire le tour de l'avion pour vérifier qu'il n'y a rien d'anormal et que les gouvernes sont libres. Le T6 étant demeuré sous le soleil, les tôles du fuselage et des ailes étaient brûlantes et je fis attention à ne pas m'y appuyer.

Ensuite je mis mon parachute en me glissant dans le harnais avec quelques contorsions. C'est là que, pendant que je m'équipais, Guillaume s'approcha d'une roue du train d'atterrissage et y donna un coup de pied.

- Ça porte bonheur, dit-il en riant.

Sans plus me préoccuper de lui, je montai sur l'aile du bel avion jaune d'or en prenant soin de ne pas marcher n'importe où sur sa voilure. Je m'assurai que les sangles du siège arrière étaient bloquées et que nul objet n'avait été oublié. Enfin je me hissai dans la cabine, en place avant, et je fixai mon harnais.

Guillaume grimpa sur l'aile à mon côté et dit :

- Mise en route, jeune homme, je vous passe le relais !

Je récitai à voix haute, non pas la prière du pilote, mais les actions vitales qui doivent précéder le démarrage du moteur. Lorsque j'eus terminé, mon moniteur sauta sur le sable et se tint un peu à l'écart, à bonne distance de l'hélice, auprès de l'extincteur mobile. Quand il leva le pouce en signe d'assentiment, je mis le contact et commançai le démarrage. Le moteur cliqueta un moment, puis hoqueta pendant que l'hélice tournait avec difficulté, instant désagréable où je retins mon souffle et où j'eus le temps de me demander si j'allais vraiment décoller. Tout à coup elle vrombit dans une fureur cahotante au milieu d'une épaisse fumée blanche.

Les indicateurs de pression et de température prirent leurs positions habituelles, les gyroscopes également. Soulagé, je respirai profondément. Je contrôlai chaque instrument et je branchai la radio pour demander au starter l'autorisation de rouler.

Guillaume s'éloigna et se posta à l'ombre de la baraque d'où il me verrait décoller. Il y avait une dizaine d'élèves autour de lui et parmi eux Gros-Louis et Jeannot Galion qui me faisaient des signes.

Je lâchai les freins, poussai les gaz et dirigeai l'avion vers le point de décollage en faisant des « S », car le moteur du T6 cache la vue devant soi quand on est au sol. Puis je fis les actions vitales qui doivent précéder le décollage en m'aidant de la phrase mnémonique que des milliers d'élèves avaient prononcée avant moi : « Sois courageux mais prudent en vol, garde intelligence, habileté, discipline », ce qui signifie :

« Serrage manettes ; compensateurs : direction 3 heures, profondeur 11 heures ; commandes libres ; mélange carburant sur « riche », carburateur sur « froid »; pas de l'hélice sur « plein petit pas » ; essence, je vérifie que le réservoir est plein, je mets le sélecteur sur « droit » ; volets d'intrados 10 degrés ; gyroscopes : conservateur de cap et compas synchrones, dépression normales, horizon artificiel réglé ; instruments : pressions et températures correctes, altimètre à zéro ; harnais bloqué, habitacle entrouvert ; décrassage moteur : freins serrés, j'affiche 25 pouces au moteur. » Ouf !

Voilà, il n'y avait plus à reculer. L'avion vibrait de toute part, cheval fougueux solidement tenu par son cavalier (c'était moi !). Je vis de nouveau Jeannot Galion. Il levait le poing cette fois et semblait asséner des coups sur un mur invisible pour me dire : « Vas-y ! Fonce et montre-leur qui tu es !» du moins c'est ce que je compris.

J'appelai le starter :

- Zouine de T6 102, je demande l'autorisation de décoller.

- Allez-y 102 ! Il n'y a personne dans le circuit.

Je desserrai les freins comme on largue les amarres. J'étais libre enfin. Immédiatement je poussai les gaz à fond pour le plus beau décollage dont un pilote ait jamais rêvé. Sans la moindre hésitation, le « T6 jaune d'or à la pulpe d'orange » se précipita droit devant lui et quitta rapidement la terre pour m'emmener au paradis !

J'étais à mon affaire. Très vite je réduisis les gaz à 30 pouces (pression d'admission), je rentrai le train d'atterrissage et les volets d'intrados. Un coup d'œil à droite, un coup d'œil à gauche, le ciel m'appartenait. Sans m'attarder, je virai vers l'Atlas lointain où j'avais rendez-vous avec les neiges éternelles.

Je regardais attentivement de tous côtés comme Guillaume me l'avait enseigné. Je devais être seul pour ce que j'avais à faire. Je craignais qu'il y eût du monde en l'air, venant non pas de Sidi-Zouine, mais de la base de Marrakech. Si un moniteur grincheux me découvrait en train de tourner des boucles ou des tonneaux le jour de mon lâcher, c'en serait fait de ma carrière de pilote. Mes « ennemis » se cachaient sûrement à proximité, je ne les voyais pas, mais ils étaient là quelque part, peut-être derrière moi ?

Je grimpais vers l'Atlas quand je vis venir à ma rencontre, non pas un avion, mais des nuages formant une couverture compacte que je n'avais pas aperçue depuis le sol. J'étais trop bas pour passer au-dessus de la couche et il était interdit aux élèves de voler dans les nuages même pour les traverser. J'étais embarrassé, je pouvais revenir sur mes pas et prendre de l'altitude ou bien chercher une ouverture dans cet altostratus. Je décidai de continuer ma route pour m'éloigner de Zouine.

Le sol était devenu gris. Moi qui voulais voler en pleine lumière, je me trouvais maintenant presque dans la nuit, en tout cas dans l'ombre. Je volais à 5.000 pieds, ce qui n'était pas une hauteur suffisante pour ma voltige. Je pestais contre ma bêtise et contre ce nuage. Comment avais-je pu ne pas le remarquer plus tôt ? Ce n'était pas une couche épaisse, mais elle s'étendait à perte de vue, stoppée par la barrière montagneuse.

J'hésitais à forcer le passage en oubliant les consignes lorsque des taches claires apparurent sur le sol : il y avait donc des trous dans cette couverture ? Je pris tout de suite de la vitesse puis, à la première fenêtre de ciel bleu, je tirai fortement sur le manche.

C'est alors que le bel avion et moi, nous avons émergé du nuage au fond d'une vallée de lumière, sous un soleil démesuré, dans un ciel éblouissant qui faisait mal aux yeux. Et devant nous, barrant l'horizon à quelque distance, le splendide Atlas brillait de tous ses feux. « C'est le Jardin des Hespérides, m'écriai-je, je vois les Pommes d'or ! » Peut-être était-ce le manque d'oxygène qui me troublait la vue ou qui me dérangeait l'esprit !

Le ciel avait la couleur bleue des mers du sud, mais il tendait au noir bleuté au-dessus de ma tête. Au-dessous de mes ailes, la mer de nuages ressemblait à du titane côté soleil et à une plaine recouverte de neige du côté opposé. J'y observai mon ombre, celle de mon avion, elle s'écartait lentement puisque nous montions.

J'étais là sans voix, étourdi autant par le spectacle que par la réverbération. Toutes ces splendeurs m'étaient offertes, à moi seul, car il n'y avait que moi dans cette immensité. Les nuages changeaient de couleur, l'albâtre, puis l'antimoine. Soudain, au moment où je virais vers l'ouest dans la direction de l'invisible océan, sortant tout d'un coup des lointains brumeux, je crus voir des îles : « Les Canaries ! dis-je, ou peut-être Madère. Ce n'est pas possible ou serait-ce un mirage ? » J'acceptai volontiers ce cadeau ; c'était un encouragement ou un heureux présage.

J'étais à l'altitude de 8.000 pieds, il n'y avait plus à hésiter. Je fis un tour complet pour vérifier qu'aucun intrus n'avait pénétré dans mon espace aérien : rien dans le ciel, j'étais seul. Je souhaitais au préalable effectuer une vrille ou deux pour me mettre en confiance. Je réduisis entièrement les gaz et obligeai mon avion à se tenir parfaitement droit en vol horizontal. Sa vitesse diminua et il voulut descendre, mais je tirai fermement sur les rênes, c'est-à-dire sur le manche.

Pris de frissons le T6 se mit à vibrer puis à trembler. Brusquement une aile s'enfonça et il plongea vers le sol en tournoyant comme une toupie. Vite je le contrai au palonnier tout en repoussant le manche. Sans rechigner mon bel avion mit un terme à sa rotation et retrouva ses appuis sur les filets du vent. Tel un plongeur qui remonte à la surface, il dessina dans l'air une jolie courbe et grimpa, docile, vers le soleil.

J'étais déterminé. Je repris vite de la hauteur et m'assurai de nouveau que nul ne m'observait. Sans plus attendre, le beau T6 jaune d'or et moi nous plongeâmes vers la couche nuageuse en prenant de la vitesse. Quand il fut prêt, je tirai sur le manche pour entamer le looping. Obéissant à chacun de mes gestes, l'avion doré montait sans regimber.

Nous étions le nez en l'air, exactement à la verticale, lorsque je commis l'erreur de regarder le tableau de bord : l'indicateur de vitesse tendait vers le zéro ! « On va décrocher !» criai-je. Stupide hésitation. Il s'ensuivit ce que le manuel avait prévu : les commandes ne répondaient plus. Je n'étais plus le maître à mon bord et je ne pouvais rien entreprendre pour sortir de ce mauvais pas.

Le bel avion qui voulait grimper jusqu'au zénith s'arrêta un instant dans cette position inconfortable comme s'il était suspendu à un fil. Puis il poussa un rugissement - « emballement d'hélice » pensai-je - et il partit en arrière, queue la première, pour s'abattre ensuite violemment, nez en avant !

J'étais abasourdi. Vite je recouvrai mes esprits et rétablis la situation. La peur m'avait fait trembler. J'étais rempli de honte. Avec un peu d'audace, nous aurions déjà réalisé un premier looping.

Je repartis à l'assaut du ciel, plus haut encore, à 9.000 pieds cette fois pour une seconde tentative. Le temps commençait à compter. Je piquai de nouveau vers le nuage et je cabrai résolument l'avion. Quand nous fûmes à la verticale, je basculai la tête en arrière, jusqu'à ce que, après avoir franchi le sommet de la boucle, gentiment, tout en douceur, le T6 jaune d'or et moi nous retrouvions l'horizon. La terre montait, à l'envers certes, car nous passions sur le dos dans la partie supérieure du looping, mais elle montait. Nous achevâmes la boucle sans effort.

Ce fut le plus beau looping de ma vie, non pas le mieux réussi, mais un moment d'extase, de bonheur indicible et de fierté aussi. Alors que nous étions en piqué, puisque nous étions lancés, nous fîmes une seconde boucle et, pour que le compte y soit, nous tournâmes la troisième.

Il me restait le plus difficile à tenter : le tonneau. Mais plus rien ne m'arrêtait. Sur le chemin du retour, je pris de la vitesse, puis je cabrai un peu le T6 jaune d'or en le faisant tourner sur son axe longitudinal. Tout alla pour le mieux dans la première partie du tonneau : l'avion se mit sur le dos avec facilité. Mais là, c'est idiot, je ne savais pas terminer cette figure, je ne voyais pas de quelle façon remettre sous mes pieds la terre qui à cet instant se trouvait sous ma tête. Je lâchai les commandes, j'abandonnai le manche.

Et que fit mon « avion jaune d'or à la pulpe d'orange » ? Sans s'occuper de moi puisque je ne pilotais plus, il se remit en vol horizontal, replaçant ma tête en haut et mes pieds en bas ! J'eus ainsi la preuve que le T6-Texan pardonnait leurs bêtises aux petits élèves-pilotes malhabiles.

Quand je rentrai à Sidi-Zouine, Jeannot Galion m'attendait.

- Alors ? me dit-il à voix basse, l'air inquiet, l'œil aux aguets.

- C'est fait, répondis-je fièrement, trois boucles et un tonneau, ce dernier à moitié réussi.

- Moi, répondit-il en baissant les yeux, je n'ai pas osé, mais demain, je te le jure, ce sera mon tour.

(Fin de cet extrait.)

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 Les Ailes noires du porteur de guerre Posté Le 21/09/2012 

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Les ailes noires

du porteur de guerre

Roman de F. NICOL

(Chapitre 21 en ligne depuis le 21/09/2012)

ISBN 2-7488-0001-X

Préambule

J’ai retrouvé les carnets de Pierre Nolens, pilote de chasse, carnets écrits entre ses 20 et 22 ans. J’étais son équipier dans la chasse de nuit. J’ai rencontré Pierre à Tours en 1959 ; nous sommes

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partis faire la guerre en Algérie.

Ce roman, écrit par un pilote, décrit les combats aériens, les chasses de nuit, les attaques au sol, les accidents.

Pierre raconte la guerre, la peur, la mort, mais aussi l’audace des pilotes et la fraternité des combattants. Il dépeint les ciels, les nuits sous les étoiles, le désert, la mer, les paysages de l’extraordinaire Algérie.

Pierre voulait devenir un grand pilote ; il décrit sa recherche de perfection, sa quête d’absolu, et le désastre moral qui s’en suivra quand il comprendra son erreur : parti croyait-il se battre pour la France, il lutta en réalité contre la liberté des Algériens.

Il découvrira aussi sa véritable personnalité : « ses ailes noires de guerrier ».

 

 

Chapitre 21 : en haut de la dune

(Extrait du carnet n° 6 de Nolens.)

30/7/1960 à Ouargla (Algérie), base aérienne.

La lune était gibbeuse cette nuit. Ce matin à l'aube, quand nous sommes revenus après le vol, elle était sur le point de disparaître au-delà du désert à l'ouest. Fuyant le soleil, elle avait revêtu ses habits fauves, des couleurs brunes, jaunes et rouges avec des traces de fumées, le rougeoiement d'un feu qui se meurt. Je sentais en moi une tristesse dont je cherchais la cause.

L'aube qui approchait à grands pas annonçait la fin de ma nuit, la fin de mon rêve éveillé, le retour du réel qui n'avait rien de passionnant. Je me rendais compte, comme jamais, à quel point j'étais devenu un oiseau de nuit. Je comprenais que ma liberté, mon indépendance étaient bien plus complètes pendant le sommeil des hommes et qu'une bonne façon d'échapper à la réalité, c'était de dormir le jour.

Je savais pourquoi je m'étais réfugié à Ouargla, en plein été, alors que le bonheur se cachait à la plage, tout là-haut vers le nord, sur les bords ombragés et frais de la Méditerranée : j'avais choisi le désert pour être libre, débarrassé des contraintes militaires.

La lune était gibbeuse ce matin et mon âme écornée.

Quand nous sommes descendus du ciel, c'était dans la nuit, J.C. est rentré se coucher, il se sentait fatigué. Je lui ai donné le fennec pour qu'il le ramène à notre chambre et le mette au lit.

J'avais décidé de grimper en haut de la grande dune pour assister au lever du soleil. L'air était d'une tiédeur idéale. Une petite brise à peine perceptible caressait mon visage et mes mains. J'étais en combinaison de vol..

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